Construction et navigation d’un catamaran Wharram Tiki 46 à voiles de jonque.

VOYAGES

Hommage à Eric de Bisschop précurseur de la navigation en multicoque au XXème siècle .

 

ERIC DE BISSCHOP : Kaimiloa,Tahiti Nui Jonques . Catamaran . Radeaux (1er partie )

Le 25 janvier 2012, par maheyo,

En 2008 ,cela faisait 50 ans qu’Eric de Bisschop était décédé dramatiquement ...Nous avons construit nos catamarans et en étudiant l’historique de ces bateaux ,le nom d’Eric de Bisschop est apparu.Marie-Hélène a fait un travail de recherche sur ce navigateur dans le cadre du concours du Chasse Marée pour Brest 2008 . C’est avec joie qu’elle partage son travail avec vous .....

Initiations et découvertes...

La mer, une passion, un mystère.... elle attire, elle fascine, elle terrifie, mais hypnotisés nous revenons à elle comme un enfant revient vers sa mère nourricière. Quitter la terre pour courir les océans au début du siècle dernier n’était pas une banalité mais une grande aventure. La navigation à voile ne s’est démocratisée qu’à partir des années 50. Dans les années 60, mon père m’a fait partager le plaisir de la voile sur l’Oise. Je découvris ainsi la navigation et y fis quelques pas en solitaire. Dans le club nautique de La Croix Saint Ouen, à côté de Compiègne, une équipe de jeunes régataient et rêvaient aux traversées océaniennes. Des couples se formèrent. Bertrand et moi étions le 5ème équipage à convoler sur l’océan de la vie... Notre premier projet fut la construction d’un monocoque en contre-plaqué de 9 mètres que l’on nomma Piniouf... L’équipage s’agrandit, Bertrand fouille, cherche des idées de perfectionnement, de confort... Les catamarans nous attirent et particulièrement ceux dessinés par James Wharram. Ce fut la réalisation d’un petit catamaran de 10 m, un Tiki 30 entièrement construit de nos mains et gréé de voiles de jonques plus simples pour une équipière peu musclée. Nous avons traversé l’Atlantique avec notre petit « PHA » dans le sens Fort- de-France -Morgat et ce fut un plaisir immense... Un plus grand catamaran de 46 pieds du même type est en construction dans les Monts d’Arrée pour un projet plus ambitieux, une grand boucle autour de notre petite planète bleue. Mais qui a déjà fait ce type de bateau ? Recherches... et découverte... un homme, Eric de Bisschop a réalisé un bateau du même genre que notre Tiki 30, dans les années 1936-1937 ralliant Honolulu à Cannes en passant par le cap de Bonne Espérance. Qui était cet homme, aventurier, amoureux fou de la mer, ne sachant pas nager ? Il a eu une vie peu banale avec chaque période associée à un bateau. Grâce à lui, d’autres ont eu des rêves un peu fous. Nous sommes ses petits enfants spirituels en quelque sorte, désirant lui rendre hommage, cinquante ans après sa mort lors d’une expédition en radeau à travers le Pacifique.

La force irrésistible d’une vocation

Il existe des hommes qui naissent avec des destins peu communs, Eric de Bisschop était l’un de ceux-là. Il le dit lui même :

« Tout le monde comprend ce que peut être la force irrésistible d’une vocation. A peine adolescent, je sentais que je n’étais pas fait pour rester dans les villes, dans les campagnes, au milieu des hommes. Toutes mes tendances, toutes mes aspirations me poussaient vers la navigation à voile, vers la mer. Une force incroyable était en moi : celle de réaliser ces tendances et ces aspirations, je ne voulais pas connaître la tragédie des êtres qui vivent encagés ou prisonniers de mille petits liens qu’ils n’ont pas le courage de dénouer, ou de briser. Je voulais connaître à tout prix le chant des sirènes, et le Pacifique exerçait sur moi, malgré ma jeunesse, une sorte de fascination. Je savais qu’un jour, j’irai voir les paysages merveilleux dont rêvait mon imagination d’enfant. »

Cet enfant est né le 21 octobre 1891 à Aire de Lys au bord de cette petite rivière du Nord, la Lys. Il est le 4ème et dernier garçon, deux sœurs naissent encore après lui. Vieille famille flamande, les Debisschop ou De Bisschop, suivant les branches de l’arbre généalogique, est une famille bourgeoise de classe aisée et possède une savonnerie à Tourcoing. La famille d’Eric habite Tourcoing, Aire sur la Lys, Armentières, Calais, Mouscron en Belgique. Eric fréquente les écoles de Jésuites où il côtoie des missionnaires de retour des pays lointains dont les récits viennent nourrir la passion du jeune garçon, sans compter les lectures des récits du capitaine Cook, ainsi que La Pérouse, Bougainville et d’autres de la noble lignée qui avaient été ses héros, les livres de Jules Verne « Capitaine Némo ».

C’est dans son collége qu’il apprend par le neveu du capitaine du Dunkerque, un cap-hornier des établissements Bordes, que le bateau lève l’ancre. Eric, âgé à peine de 16 ans, fugue et réussit à embarquer comme mousse. Les parents d’Eric ayant perdu déjà un fils un an auparavant ne voient pas cela d’un très bon œil. Le capitaine Bouquin fut encouragé par les parents à dégoûter ce jeune rebelle. Malgré la dureté du voyage, le passage du cap Horn, le froid... Eric revient après 18 mois de navigation, encore plus passionné.

« Je sentis au cours de ce voyage (un dur voyage, mais si beau voyage), après une lutte de 15 jours dans les tempêtes du cap Horn, et en remontant dans le Pacifique (un océan pourtant comme les autres) que si le mer m’attirait, le Pacifique allait me retenir.. »

Il fait ensuite ses études dans l’école de la marine à Dieppe en navigant régulièrement - mais hélas on ne retrouve les traces de ses navigations qu’à partir de 1912.

Il a navigué ensuite sur les bateaux suivants :

Le Chateaurenault Brest matelot 3ème classe

Dupetit Thouars Brest matelot 2ème classe

Cachar Saïgon 48 élève officier

Sinai

Magellan

Portugal

Breton

Il est vraiment mobilisé le 5 août 1915 et se retrouve dans la flotte des chalutiers de la Manche.

Il est nommé commandant du dragueur le St Joachim à Calais le 1er septembre 1916. Le dragueur est coulé et Eric de Bisschop qui ne sait pas nager sera sauvé de justesse

Eric de Bisschop est toujours accroché à son rêve de partir sur son propre bateau dont il a dessiné un plan qu’il garde sur lui.

En juin 1918, il devient aviateur et pilote un hydravion ?, l’avion part en vrille et on le donne pour mort, mais il en réchappe encore.... Le 4 Mars 1919, il se marie à Antibes Il quitte l’armée le 23 août

La quête d’un rêve

Eric de Bisschop recherche toujours le bateau de ses rêves. Il commande un caboteur, Rudolph . Devenu,enfin le propriétaire d’un 3 mâts il le baptise le ’’Thomas l’Agnelet’’ (nom d’un héros de roman célèbre en 1913). Le bateau quitte le port de Marseille le 8 mai 1920 avec le capitaine de Bisschop, madame et 17 hommes d’équipage.

Ce trois mât anciennement Péronne puis Marguerite-Hélène armé par les armateurs Lévy-frères est transformé, aménagé pour du transport de bois précieux.

Le bateau est équipé de matériel de mesure, de livres et des instructions et cartes des mers du Sud. L’Algérie, le Maroc, la côte africaine... il cherche du fret, fait du cabotage et puis le capitaine décide de mettre le cap vers Panama mais les dieux de la mer en décident autrement. Entre les Açores et Madère, la mer devient très mauvaise, le bateau cogne beaucoup, la vieille coque fait de l’eau et les choses s’enchaînent très vite. Les pompes se grippent, pas de radio à bord, il faut abandonner le navire...

Eric de Bisschop et son équipage sont sauvés par un navire qui passe non loin...

En 1921, on le retrouve commandant en second du Fouras et puis... plus de trace de navigation officielle.

Terrien pendant quelques années, il devient papa d’une petite fille. Mais il ne peut rester ainsi :

« Je voulais tant remplir ma vie, la rendre à mes yeux digne d’être vécue... La Chine, c’est déjà le seuil du PACIFIQUE... le seul but : réunir assez de dollars pour pouvoir réaliser mon rêve : partir à la conquête du Pacifique et de ses mystères. »

En 1927, à 37 ans, Eric de Bisschop monte à bord du André Lebon destination Shanghai avec 150 francs en poche.

Une semaine après son arrivée, il commande un navire, une jonque battant pavillon français (mais affrétée par des Chinois) qui remonte le Yang Tse Kiang... Arrivé à Hankéou après bien des aventures, dans une Chine chaotique, il devient chef de la garde de la concession française et rencontre un jeune Breton démobilisé depuis peu Joseph Tatibouet, une amitié naît.

Explorateur et Constructeur

Eric de Bisschop fait construire une jonque pour enfin réaliser son projet

« Étudier un courant, sa vie, il faut vivre avec lui ; il faut de nombreuses observations astronomiques pour avoir à tous moments des positions exactes du navire par rapport au fonds... Il faut donc marcher aussi peu vite que possible, vivre dans le courant, avec la courant... »

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portrait d’ Eric de Bisschop extrait du livre les mascottes du tahiti nui

Il voulait aussi associer à cette étude, le mystère de la migration polynésienne et donner sa vision de marin à ce sujet.

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Fou Po au mouillage
extrait du livre les mémoires de Tatibouet

Le bateau est construit par un chantier maritime à Wan Yen dans le Fokien.

Cette jonque est de type Ning Po. Il nomme son navire Fou Po ’’Pacificateur des vagues’’. Long de 15m large de 5m 45 tonneaux. Tout donne à penser que ce navire est le bateau des rêves de notre navigateur.

« A bord de cette jonque, je me proposais de démontrer la fausseté des théories qui veulent que les races polynésiennes soient originaires des pays situés à l’ouest du Pacifique c’est à dire des états malais, de l’Inde ou d’Arabie. Pour parvenir à ce résultat, il me fallait atteindre les côtes de la Malaisie et de là me laisser porter de l’ouest à l’est par les contres courants équatoriaux sans savoir ou ils me conduiront. Je voulais me placer dans les conditions même où naviguaient les antiques et supposés Polynésiens. On verrait ce que donnerait l’expérience. De toute manière, j’étais assuré de pouvoir calculer la direction et la force des contres courants équatoriaux qui sont très peu connus par les savants »

Nous sommes en 1932. La jonque est parfaitement équipée. La personne qui était associée à Eric de Bisschop pour le projet, se dégonfle. Notre capitaine se retrouve avec Joseph Tatibouet et un équipage de trois « marins » russes sans expérience au départ de Shanghai. Comble de malchance, il n’y a pas de prévisions météo comme maintenant, au large de Formose, ils sont pris dans un typhon, cinq jours de tempête. Le bateau est drossé à la côte. Victime de pirates, pilleurs d’épaves,

Eric de Bisschop doit tout recommencer à zéro mais avec le secours et l’aide de Joseph Tatibouet qui devient son associé pour la construction de Fou Po 2.

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Eric de Bisschop dans la cabine de FOU PO 1

Fou Po 2 est une jonque de type Ning PO Elle sera construite en 8 semaines par un chantier d’Amoy en Chine.

13 tonneaux

44 pieds(12 m) de long hors tout

16 pieds de large (5m 10)

Fou Po calait 1 m ou 1 m 50. Le gouvernail sert de dérive, il mesure 4 m 20 et descend 60 cm plus bas que la quille.

La quille et l’étrave sont en teck. Les membrures sont en bois de camphrier. Les 6 planches inférieures du bordé en bois rouge et le reste est en pin.

« Le grand mât est implanté sur l’avant immédiat de la chambre dans un compartiment qui sera le magasin. De l’autre côté du magasin, un autre compartiment servira de citerne, l’eau douce étant laissée, suivant la mode chinoise à même le bois. Ces compartiments sont conçus pour être étanches. La misaine est, comme il convient, penchée en avant. A l’arrière et déporté sur tribord pour permettre le jeu de la barre, un petit mât de tape cul s’élève à toucher le couronnement. Celui ci est fendu pour le passage de la mèche de gouvernail, qu’un treuil à main horizontal permettra de remonter quand on naviguera en eau peu profonde ».

Les trois mâts sont d’énormes troncs de bambou. Les voiles sont à bourcet lattées de bambou sur toute leur largeur. La coque est décorée selon la tradition chinoise de l’étrave à l’étambot par des motifs chinois peints en rouge et or et deux grands yeux en amande sont peints sur l’étrave carrée.

La grande largeur du bateau et son arrière surélevé ménagent une spacieuse cabine qu’Eric de Bisschop fera aménager. Cette cabine sera entoilée lors d’une escale et les peintures améliorées après plusieurs mois de navigation, la citerne sera doublée de galva et de laitance de ciment pour annuler la forte odeur de camphre. Eric de Bisschop fera aussi couvrir la coque de cuivre de récupération dont il fut très satisfait par la suite.

Les annexes seront au nombre de deux, acquises durant les premières escales de Fou Po 2
- un sampan
- une pirogue outrigger type Vinta

Eric de Bisshop est fier de son petit bateau

« un tel navire incarne toute la science des âges, il est extrêmement marin, il n’embarque pour ainsi dire pas une goutte, il est spacieux, facile à manœuvrer, et peu coûteux à construire »

Et Fou Po répondra aux aspirations de son capitaine pendant plusieurs années malgré les aventures et les typhons rencontrés. L’équipage a réalisé l’équivalent de deux tours du monde en sillonnant et observant cette partie du Pacifique comprise entre les Philippines, l’Australie et les îles Hawaï.

Dans le livre « Confessions de Tatibouet » les escales et les aventures sont racontées en détails, ainsi que dans la conférence d’ Eric de Bisschop à Paris dans le cadre de la société de Géographie. Cette dernière ayant été son commanditaire pour l’étude du contre courant équatorial. Eric de Bisschop réalise une partie de son rêve :

« J’avais pu cependant trouver au dit contre courant équatorial, avec ses limites précises, une direction bien différente de celle qu’on est convenu de lui donner ; rectifier la positon de 3 petits îlots isolés dans le sud des Carolines : Merir, Sonsol et Current, marqués sous les cartes des initiales PD qui veut dire position douteuse... Je ne trouvai pas l’île Saxeguard, mais un régime de courants des plus étranges, qui me fit regretter de ne pas avoir un appareil à sonder à l’ultra son, car, ainsi que je l’ai pu remarquer plusieurs fois, les irrégularités des grands courants océaniques de surface indiquent très souvent, sinon toujours des variations inconnues de relief sous-marins et les uns doivent permettre de découvrir les autres. »

Pour ces travaux, la société de Géographie lui décerna le Prix Garnier.

Mais une escale technique mènera l’équipage à la catastrophe. Nous sommes en 1935, les tensions mondiales sont palpables. L’équipage de Fou Po bien que battant pavillon français est suspect aux yeux des Japonais à Jaluit dans les îles Marshals. Le bateau est perquisitionné, la vieille radio pourrie et les quantités de notes et d’observations d’ Eric de Bisschop les font prendre pour des espions. Prisonniers puis relâchés, non sans mal, l’équipage s’aperçoit après un mois de navigation que toutes leurs réserves ont été saccagées (conteneurs de riz, de farine descellés, conserves crevées). Ils arrivent à Molakai dans les îles Hawaï mourant de faim. Ils sont sauvés de justesse mais :

« La deuxième nuit de notre arrivée, un coup de vent subit rompt la chaîne de la jonque... Le Fou Po est jeté à la côte. Les indigènes l’ont vu au petit matin, coque éventrée, balayé par la mer...

"Trois années d’études perdues, tout est perdu... je pleure comme un enfant battu... »

Après une discussion avec un missionnaire français qui s’occupe des lépreux de l’île, il se ressaisit et quand Tatibouet vient le voir :

« Écoutez mon pauvre Tati, je vais repartir... je ne sais pas comment, mais je vais repartir ! Je vais construire une double pirogue polynésienne... »

et Joseph Tatibouet de lui répondre

« ...je repartirai avec vous, et si vous avez besoin d’argent pour ce nouveau bateau eh bien vous savez que j’ai toujours mon compte à la Banque d’ IndoChine. »

 

Commentaires de l'article

 
Aissa
Le 14 janvier 2013
Félicitation pour ce travail qui nous fait revivre des aventures de gens passionnes qui ont marque leur passages par des faits historique de marin d un grand courage.Aussi j ai lu et vue les différentes photos et articles de votre réalisation du catamaran tiki 30 et je suis très influence par ce mode de navigation.Je possède un voilier de 8,75m veille marine,je cherche une documentation technique sur le tiki 30 pour évaluer mes moyens avant de me lancer dans ce projet et votre contribution sera la bienvenue merci.
 
maheyo
Le 28 janvier 2013
Merci de votre interet pour notre travail.Je vous conseille de regarder les liens de ce site .Vous trouverez le lien de Wharrambuilder,du site de James Wharram,ainsi que que le site Icarai http://www.icarai.fr/kits/fr/wharram.html Bonne recherche et bon courage

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Dernière mise à jour le :
21 mars 2012
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