Construction et navigation d’un catamaran Wharram Tiki 46 à voiles de jonque.

VOYAGES

Hommage à Eric de Bisschop précurseur de la navigation en multicoque au XXème siècle .

 

ERIC DE BISSCHOP une vie peu ordinaire un grand marin

Le 18 février 2017, par maheyo,

Initiations et découvertes...

La mer, une passion, un mystère.... elle attire, elle fascine, elle terrifie, mais hypnotisés nous revenons à elle comme un enfant revient vers sa mère nourricière. Quitter la terre pour courir les océans au début du siècle dernier n’était pas une banalité mais une grande aventure. La navigation à voile ne s’est démocratisée qu’à partir des années 50. Dans les années 60, mon père m’a fait partager le plaisir de la voile sur l’Oise. Je découvris ainsi la navigation et y fis quelques pas en solitaire. Dans le club nautique de La Croix Saint Ouen, à côté de Compiègne, une équipe de jeunes régataient et rêvaient aux traversées océaniennes. Des couples se formèrent. Bertrand et moi étions le 5ème équipage à convoler sur l’océan de la vie... Notre premier projet fut la construction d’un monocoque en contre-plaqué de 9 mètres que l’on nomma Piniouf... L’équipage s’agrandit, Bertrand fouille, cherche des idées de perfectionnement, de confort... Les catamarans nous attirent et particulièrement ceux dessinés par James Wharram. Ce fut la réalisation d’un petit catamaran de 10 m, un Tiki 30 entièrement construit de nos mains et gréé de voiles de jonques plus simples pour une équipière peu musclée. Nous avons traversé l’Atlantique avec notre petit « PHA » dans le sens Fort- de-France -Morgat et ce fut un plaisir immense... Un plus grand catamaran de 46 pieds du même type est en construction dans les Monts d’Arrée pour un projet plus ambitieux, une grand boucle autour de notre petite planète bleue. Mais qui a déjà fait ce type de bateau ? Recherches... et découverte... un homme, Eric de Bisschop a réalisé un bateau du même genre que notre Tiki 30, dans les années 1936-1937 ralliant Honolulu à Cannes en passant par le cap de Bonne Espérance. Qui était cet homme, aventurier, amoureux fou de la mer, ne sachant pas nager ? Il a eu une vie peu banale avec chaque période associée à un bateau. Grâce à lui, d’autres ont eu des rêves un peu fous. Nous sommes ses petits enfants spirituels en quelque sorte, désirant lui rendre hommage, cinquante ans après sa mort lors d’une expédition en radeau à travers le Pacifique.

La force irrésistible d’une vocation

Il existe des hommes qui naissent avec des destins peu communs, Eric de Bisschop était l’un de ceux-là. Il le dit lui même :

« Tout le monde comprend ce que peut être la force irrésistible d’une vocation. A peine adolescent, je sentais que je n’étais pas fait pour rester dans les villes, dans les campagnes, au milieu des hommes. Toutes mes tendances, toutes mes aspirations me poussaient vers la navigation à voile, vers la mer. Une force incroyable était en moi : celle de réaliser ces tendances et ces aspirations, je ne voulais pas connaître la tragédie des êtres qui vivent encagés ou prisonniers de mille petits liens qu’ils n’ont pas le courage de dénouer, ou de briser. Je voulais connaître à tout prix le chant des sirènes, et le Pacifique exerçait sur moi, malgré ma jeunesse, une sorte de fascination. Je savais qu’un jour, j’irai voir les paysages merveilleux dont rêvait mon imagination d’enfant. »

Cet enfant est né le 21 octobre 1891 à Aire de Lys au bord de cette petite rivière du Nord, la Lys. Il est le 4ème et dernier garçon, deux sœurs naissent encore après lui. Vieille famille flamande, les Debisschop ou De Bisschop, suivant les branches de l’arbre généalogique, est une famille bourgeoise de classe aisée et possède une savonnerie à Tourcoing. La famille d’Eric habite Tourcoing, Aire sur la Lys, Armentières, Calais, Mouscron en Belgique. Eric fréquente les écoles de Jésuites où il côtoie des missionnaires de retour des pays lointains dont les récits viennent nourrir la passion du jeune garçon, sans compter les lectures des récits du capitaine Cook, ainsi que La Pérouse, Bougainville et d’autres de la noble lignée qui avaient été ses héros, les livres de Jules Verne « Capitaine Némo ».

C’est dans son collége qu’il apprend par le neveu du capitaine du Dunkerque, un cap-hornier des établissements Bordes, que le bateau lève l’ancre. Eric, âgé à peine de 16 ans, fugue et réussit à embarquer comme mousse. Les parents d’Eric ayant perdu déjà un fils un an auparavant ne voient pas cela d’un très bon œil. Le capitaine Bouquin fut encouragé par les parents à dégoûter ce jeune rebelle. Malgré la dureté du voyage, le passage du cap Horn, le froid... Eric revient après 18 mois de navigation, encore plus passionné.

« Je sentis au cours de ce voyage (un dur voyage, mais si beau voyage), après une lutte de 15 jours dans les tempêtes du cap Horn, et en remontant dans le Pacifique (un océan pourtant comme les autres) que si le mer m’attirait, le Pacifique allait me retenir.. »

Il fait ensuite ses études dans l’école de la marine à Dieppe en navigant régulièrement - mais hélas on ne retrouve les traces de ses navigations qu’à partir de 1912.

Il a navigué ensuite sur les bateaux suivants :

Le Chateaurenault Brest matelot 3ème classe

Dupetit Thouars Brest matelot 2ème classe

Cachar Saïgon 48 élève officier

Sinai

Magellan

Portugal

Breton

Il est vraiment mobilisé le 5 août 1915 et se retrouve dans la flotte des chalutiers de la Manche.

Il est nommé commandant du dragueur le St Joachim à Calais le 1er septembre 1916. Le dragueur est coulé et Eric de Bisschop qui ne sait pas nager sera sauvé de justesse

Eric de Bisschop est toujours accroché à son rêve de partir sur son propre bateau dont il a dessiné un plan qu’il garde sur lui.

En juin 1918, il devient aviateur et pilote un hydravion ?, l’avion part en vrille et on le donne pour mort, mais il en réchappe encore.... Le 4 Mars 1919, il se marie à Antibes Il quitte l’armée le 23 août

La quête d’un rêve

Eric de Bisschop recherche toujours le bateau de ses rêves. Il commande un caboteur, Rudolph . Devenu,enfin le propriétaire d’un 3 mâts il le baptise le ’’Thomas l’Agnelet’’ (nom d’un héros de roman célèbre en 1913). Le bateau quitte le port de Marseille le 8 mai 1920 avec le capitaine de Bisschop, madame et 17 hommes d’équipage.

Ce trois mât anciennement Péronne puis Marguerite-Hélène armé par les armateurs Lévy-frères est transformé, aménagé pour du transport de bois précieux.

Le bateau est équipé de matériel de mesure, de livres et des instructions et cartes des mers du Sud. L’Algérie, le Maroc, la côte africaine... il cherche du fret, fait du cabotage et puis le capitaine décide de mettre le cap vers Panama mais les dieux de la mer en décident autrement. Entre les Açores et Madère, la mer devient très mauvaise, le bateau cogne beaucoup, la vieille coque fait de l’eau et les choses s’enchaînent très vite. Les pompes se grippent, pas de radio à bord, il faut abandonner le navire...

Eric de Bisschop et son équipage sont sauvés par un navire qui passe non loin...

En 1921, on le retrouve commandant en second du Fouras et puis... plus de trace de navigation officielle.

Terrien pendant quelques années, il devient papa d’une petite fille. Mais il ne peut rester ainsi :

« Je voulais tant remplir ma vie, la rendre à mes yeux digne d’être vécue... La Chine, c’est déjà le seuil du PACIFIQUE... le seul but : réunir assez de dollars pour pouvoir réaliser mon rêve : partir à la conquête du Pacifique et de ses mystères. »

En 1927, à 37 ans, Eric de Bisschop monte à bord du André Lebon destination Shanghai avec 150 francs en poche.

Une semaine après son arrivée, il commande un navire, une jonque battant pavillon français (mais affrétée par des Chinois) qui remonte le Yang Tse Kiang... Arrivé à Hankéou après bien des aventures, dans une Chine chaotique, il devient chef de la garde de la concession française et rencontre un jeune Breton démobilisé depuis peu Joseph Tatibouet, une amitié naît.

Explorateur et Constructeur

Eric de Bisschop fait construire une jonque pour enfin réaliser son projet

« Étudier un courant, sa vie, il faut vivre avec lui ; il faut de nombreuses observations astronomiques pour avoir à tous moments des positions exactes du navire par rapport au fonds... Il faut donc marcher aussi peu vite que possible, vivre dans le courant, avec la courant... »

Il voulait aussi associer à cette étude, le mystère de la migration polynésienne et donner sa vision de marin à ce sujet. Le bateau est construit par un chantier maritime à Wan Yen dans le Fokien.

Cette jonque est de type Ning Po. Il nomme son navire Fou Po ’’Pacificateur des vagues’’. Long de 15m large de 5m 45 tonneaux. Tout donne à penser que ce navire est le bateau des rêves de notre navigateur.

« A bord de cette jonque, je me proposais de démontrer la fausseté des théories qui veulent que les races polynésiennes soient originaires des pays situés à l’ouest du Pacifique c’est à dire des états malais, de l’Inde ou d’Arabie. Pour parvenir à ce résultat, il me fallait atteindre les côtes de la Malaisie et de là me laisser porter de l’ouest à l’est par les contres courants équatoriaux sans savoir ou ils me conduiront. Je voulais me placer dans les conditions même où naviguaient les antiques et supposés Polynésiens. On verrait ce que donnerait l’expérience. De toute manière, j’étais assuré de pouvoir calculer la direction et la force des contres courants équatoriaux qui sont très peu connus par les savants »

Nous sommes en 1932. La jonque est parfaitement équipée. La personne qui était associée à Eric de Bisschop pour le projet, se dégonfle. Notre capitaine se retrouve avec Joseph Tatibouet et un équipage de trois « marins » russes sans expérience au départ de Shanghai. Comble de malchance, il n’y a pas de prévisions météo comme maintenant, au large de Formose, ils sont pris dans un typhon, cinq jours de tempête. Le bateau est drossé à la côte. Victime de pirates, pilleurs d’épaves,

Eric de Bisschop doit tout recommencer à zéro mais avec le secours et l’aide de Joseph Tatibouet qui devient son associé pour la construction de Fou Po 2.

Fou Po 2 est une jonque de type Ning PO Elle sera construite en 8 semaines par un chantier d’Amoy en Chine.

13 tonneaux

44 pieds(12 m) de long hors tout

16 pieds de large (5m 10)

Fou Po calait 1 m ou 1 m 50. Le gouvernail sert de dérive, il mesure 4 m 20 et descend 60 cm plus bas que la quille.

La quille et l’étrave sont en teck. Les membrures sont en bois de camphrier. Les 6 planches inférieures du bordé en bois rouge et le reste est en pin.

« Le grand mât est implanté sur l’avant immédiat de la chambre dans un compartiment qui sera le magasin. De l’autre côté du magasin, un autre compartiment servira de citerne, l’eau douce étant laissée, suivant la mode chinoise à même le bois. Ces compartiments sont conçus pour être étanches. La misaine est, comme il convient, penchée en avant. A l’arrière et déporté sur tribord pour permettre le jeu de la barre, un petit mât de tape cul s’élève à toucher le couronnement. Celui ci est fendu pour le passage de la mèche de gouvernail, qu’un treuil à main horizontal permettra de remonter quand on naviguera en eau peu profonde ».

Les trois mâts sont d’énormes troncs de bambou. Les voiles sont à bourcet lattées de bambou sur toute leur largeur. La coque est décorée selon la tradition chinoise de l’étrave à l’étambot par des motifs chinois peints en rouge et or et deux grands yeux en amande sont peints sur l’étrave carrée.

La grande largeur du bateau et son arrière surélevé ménagent une spacieuse cabine qu’Eric de Bisschop fera aménager. Cette cabine sera entoilée lors d’une escale et les peintures améliorées après plusieurs mois de navigation, la citerne sera doublée de galva et de laitance de ciment pour annuler la forte odeur de camphre. Eric de Bisschop fera aussi couvrir la coque de cuivre de récupération dont il fut très satisfait par la suite.

Les annexes seront au nombre de deux, acquises durant les premières escales de Fou Po 2
- un sampan
- une pirogue outrigger type Vinta

Eric de Bisshop est fier de son petit bateau

« un tel navire incarne toute la science des âges, il est extrêmement marin, il n’embarque pour ainsi dire pas une goutte, il est spacieux, facile à manœuvrer, et peu coûteux à construire »

Et Fou Po répondra aux aspirations de son capitaine pendant plusieurs années malgré les aventures et les typhons rencontrés. L’équipage a réalisé l’équivalent de deux tours du monde en sillonnant et observant cette partie du Pacifique comprise entre les Philippines, l’Australie et les îles Hawaï.

Dans le livre « Confessions de Tatibouet » les escales et les aventures sont racontées en détails, ainsi que dans la conférence d’ Eric de Bisschop à Paris dans le cadre de la société de Géographie. Cette dernière ayant été son commanditaire pour l’étude du contre courant équatorial. Eric de Bisschop réalise une partie de son rêve :

« J’avais pu cependant trouver au dit contre courant équatorial, avec ses limites précises, une direction bien différente de celle qu’on est convenu de lui donner ; rectifier la positon de 3 petits îlots isolés dans le sud des Carolines : Merir, Sonsol et Current, marqués sous les cartes des initiales PD qui veut dire position douteuse... Je ne trouvai pas l’île Saxeguard, mais un régime de courants des plus étranges, qui me fit regretter de ne pas avoir un appareil à sonder à l’ultra son, car, ainsi que je l’ai pu remarquer plusieurs fois, les irrégularités des grands courants océaniques de surface indiquent très souvent, sinon toujours des variations inconnues de relief sous-marins et les uns doivent permettre de découvrir les autres. »

Pour ces travaux, la société de Géographie lui décerna le Prix Garnier.

Mais une escale technique mènera l’équipage à la catastrophe. Nous sommes en 1935, les tensions mondiales sont palpables. L’équipage de Fou Po bien que battant pavillon français est suspect aux yeux des Japonais à Jaluit dans les îles Marshals. Le bateau est perquisitionné, la vieille radio pourrie et les quantités de notes et d’observations d’ Eric de Bisschop les font prendre pour des espions. Prisonniers puis relâchés, non sans mal, l’équipage s’aperçoit après un mois de navigation que toutes leurs réserves ont été saccagées (conteneurs de riz, de farine descellés, conserves crevées). Ils arrivent à Molakai dans les îles Hawaï mourant de faim. Ils sont sauvés de justesse mais :

« La deuxième nuit de notre arrivée, un coup de vent subit rompt la chaîne de la jonque... Le Fou Po est jeté à la côte. Les indigènes l’ont vu au petit matin, coque éventrée, balayé par la mer...

"Trois années d’études perdues, tout est perdu... je pleure comme un enfant battu... »

Après une discussion avec un missionnaire français qui s’occupe des lépreux de l’île, il se ressaisit et quand Tatibouet vient le voir :

« Écoutez mon pauvre Tati, je vais repartir... je ne sais pas comment, mais je vais repartir ! Je vais construire une double pirogue polynésienne... »

et Joseph Tatibouet de lui répondre

« ...je repartirai avec vous, et si vous avez besoin d’argent pour ce nouveau bateau eh bien vous savez que j’ai toujours mon compte à la Banque d’ IndoChine. »

L’aventure du Kaimiloa

C’est ainsi que commence l’histoire du nouveau bateau d’ Eric de Bisschoop le Kaimiloa, au delà des horizons lointains en langue d’ Hawaï. Eric de Bisschop court les musées et les archives afin de trouver des idées pour construire son bateau qui sera financé par le prix Garnier. Il réussit à trouver la trace des doubles pirogues dans une édition originale des voyages du Capitaine Cook, livre lu et relu durant son enfance.Il fera des recherches au musée Bishop à Hawai.

Pour un double canoë, il doit résoudre plusieurs problèmes :

- Les fixations des bras de liaison des 2 coques

« Je décide alors d’employer pour remplacer le filin, des chaînes,.. et pour garder le principe de souplesse, de leur adjoindre un système de ressorts travaillant à la compression : sous la plate forme rigide, les 2 coques pourront légèrement jouer. »

Eric de Bisschop déniche dans un cimetière de tramways des ressorts en assez bon état qu’il confie à un forgeron (mi-chinois, mi-hawaïen). Celui ci transforme les ressorts en tendeurs commandés par le capitaine.

- La forme des coques

Sur un catamaran, à cause de l’écartement, chaque coque subit des poussées horizontales et verticales différentes (essentiellement dans des mers de travers)... certains canoës sont en forme de demi lune... très fine pour la dérive... Calculer, imaginer, revoir dans sa tête les pirogues à balanciers qu’il a rencontré... c’est un casse-tête, il est marin pas mathématicien et se fie à son instinct. Chaque quille est une poutre épaisse taillée en forme au dessus de laquelle sont clouées les planches de la coque (cette poutre remplaçant un peu l’arbre évidé des polynésiens). Bien sûr 5 couples renforcent le tout, ainsi que les montants de la cabine.

La plate forme sera posée sur les poutres de liaison.

La coque tribord fait office d’atelier et de cuisine.

La coque bâbord sert de lieu de vie... Le réservoir d’eau est sous l’escalier, les 2 couchettes sont relevées dans la journée. Les coques sont peintes en rouge et jaune avec des motifs polynésiens.

- La fixation de la mature

Il faut un mât solide et bien implanté Des haubans sont prévus mais une pièce de bois est mise en place au pied du mât pour supprimer les forces d’abattement du mât de l’arrière vers l’avant. Le mât est planté sur la plate-forme, sur une poutre. Le mât de misaine a été très utile pour monter le grand mât

- La voilure : une voile de jonque

Eric de Bisschop, pour avoir utilisé cette voile en tout temps, est devenu un inconditionnel pour différentes raisons, particulièrement son extrême facilité de manœuvres surtout dans les prises de ris.

« Avec votre voile à bambous, que faut-il faire ? Un homme et une minute... File la drisse, garçon !la voile se replie d’elle même en accordéon, prend autant de ris qu’on le veut, automatiquement. Tourne, amarre ; un petit coup pour embarquer le moût des écoutes, et c’est fini ! Terminée la manœuvre... »

Et même usée avec des trous dedans, la voile tire.

- Le gouvernail

« De toute nécessité, la double pirogue doit gouverner seule. La barre doit, comme celle du regretté Fou Po rester des jours, des semaines, des mois amarrée ; il faut que, sous toutes les allures, au plus près, et de travers, grand largue, et même vent arrière, la double pirogue navigue droit, sans que nous ayons à craindre de dangereuses embardées, il faut que par toutes les mers, elle garde une parfaite stabilité de route ».

Les ’’pilotes automatiques’’ simples n’étaient pas encore nés et ceux créés à l’époque ne donnent pas confiance à notre marin.

Le chantier dure un peu moins d’un an. Eric de Bisschop est un peu découragé par le scepticisme des personnes qui viennent le voir. Mais, un jour il a la visite d’une jeune hawaïenne qui lui insuffle l’énergie de ses ancêtres, fière de voir cette double pirogue naître réanimant ainsi l’esprit des anciens hawaïens sur la plage de Waikiki. La mise à l’eau des coques se passe bien, le bateau dans son intégralité navigue impeccablement. Il faut revoir les problèmes d’étanchéité... même des trous sont faits au dessus de la flottaison. Kaimiloa tient le coup malgré le mauvais temps et une mer très hachée et dure. Eric de Bisschop est fier de son enfant et il a de quoi !

Kaimiloa quitte Honolulu en mars 1937.

Il rallie :

Hawaï-Futuna en 36 jours

Futuna-Sourabay en 55 jours

Captown-Tanger en 100 jours.

Après un arrêt de 3 mois à Tanger, un vent d’est permanent risque de les faire atterrir en Espagne et ce n’était pas le moment. Ils arrivent fin mai à Cannes. « Sur le Kaimiloa, ah la belle navigation ! Si les jeunes épris d’aventure savaient combien sur un bateau convenable il est facile de naviguer autour du monde à la voile, d’est en ouest, ils prendraient tous la mer... » Dit-il dans la revue des Deux Mondes du 1er mars 1939.

Vendu, le Kaimiloa reprend la mer en juin 1939 avec un nouvel équipage, un Américain et un Allemand.....

Le Kamiloa-Wakéa

A peine de retour en France, Eric de Bisschop décide de repartir avec un nouveau bateau qu’il va construire avec sa jeune femme hawaïenne à Bègles près de Bordeaux. C’est le Kamiloa-Wakéa.

« Préoccupé avant tout au point de vue stabilité et tenue à la voile, j’ai pensé à faire un bateau polynésien à double balancier semblable à ceux qu’utilisent les Moros au sud des Philippines et les indigènes de l’île de Bali, mais gréé à la chinoise. Comme ces bateaux ont un mètre de quille dans l’eau environ, ils naviguent fort bien au plus près et leur stabilité est telle qu’on peut attacher le gouvernail pendant la nuit et de dormir sans la moindre appréhension en laissant le bateau voguer seul. » « Quand tout sera paré, je partirai avec ma femme ayant comme premier but le canal de Panama... Quand j’aurai retrouvé la Polynésie mon pays d’adoption, nous irons probablement nous fixer aux Marquises ou je mettrai au point un ouvrage sur les fameuses migrations polynésiennes, problème que je veux essayer de résoudre définitivement au moyen des documents et observations accumulés depuis des années. »

Mais le destin en décide autrement. Le bateau quitte bien la France avant la déclaration de guerre, direction le Portugal mais la manie d’Eric de Bisschop d’amarrer la barre et de dormir sans veille de quart manque de leur coûter la vie. Une nuit au large de Madère, le Kaimiloa-Wakéa est éperonné par un chalutier. Eric de Bisschop qui ne sait toujours pas nager eut la vie sauve grâce à sa jeune femme et à un autre bateau de pêche qui les secourut. La relation privilégiée qu’Eric de Bisschop a depuis des années avec le maréchal Pétain (ami de ses parents, et son propre parrain) lui permet de quitter la France, pour Honolulu en étant nommé consul de France pour mettre « sa jeune femme à l’abri ».Ceci lui valut bien des ennuis après la guerre. Les résultats de ce bateau précurseur des trimarans étaient semble-t-il très positifs... Dommage. Vivre et mourir en Polynésie L’aventure maritime d’ Eric de Bisschop reprend à la fin de la guerre avec une nouvelle jonque.

Le Cheng Ho, dont Eric de Bisschop dira qu’il n’avait de la jonque que le nom....

Ce bateau fut commandé par une riche Américaine afin de permettre à un éminent botaniste d’aller collecter d’île en île, des plantes rares. A la déclaration de guerre, le bateau est réquisitionné par l’armée américaine et devint un mess des officiers après l’attaque de Pearl Harbour.

La guerre finie, le Cheng Ho reprend du service avec notre capitaine qui essaye d’associer commerce de copra et étude des courants, mais hélas sans succès...

C’est à son bord qu’il rejoint Tahiti et s’installe en Polynésie française. Le Cheng Ho est revendu. Eric de Bisschop est alors employé au cadastre, armateur, capitaine de goélettes, faisant du commerce avec les îles, cartographe temporaire à Rurutu et Raivavae où il s’installa .

Les Radeaux

L’expédition du Kon Tiki réactive le côté aventurier d’ Eric de Bisschop et en juillet 1954, il décide de construire le Tahiti Nui.

« Ce qui me poussa à réaliser ce projet, malgré mes 65 printemps ! Le voyage du Kon Tiki car ce célèbre radeau me parut avoir été tout, excepté un radeau péruvien de haute mer. Il lui manqua surtout sa caractéristique : les guaras, cette admirable inventions des dérives mobiles, » le Kon Tiki avait des guaras fixes, explique Eric de Bisschop dans Cap à l’Est. « Le Tahiti Nui fera le voyage en luttant contre des vents irréguliers et des courants ignorés »

Si Eric de Bisschop est le chef d’expédition et le capitaine du Tahiti Nui, il est entouré d’une équipe : Jean Brés calcule les proportions et fait la maquette Francis Cowan, jeune Tahitien, reste fidèle à la recherche d’Eric de Bisschop sur les migrations polynésiennes Alain Brun et son frère Michel, un jeune Chilien qui est le cuisinier...

Cinq points importants formaient la base du radeau :
- Les bambous base de la flottabilité des radeaux de haute mer des anciennes populations du Pacifique polynésien. Les bambous polynésiens furent testés pour voir leur résistance aux tarets et leur flottabilité dans le temps.

« Nous avons utilisé deux variétés de bambous. La première dite locale, qu’on trouve dans les collines et les vallées a l’avantage de pousser droit. Les fûts sont un peu faibles d’épaisseur, par contre ils ont une résistance à la mer et une flottabilité extraordinaires... "

relate Francis Cowan qui avait eu la chance de rencontrer un homme fort instruit sur le sujet et qui lui conseilla les meilleurs lieux et la meilleure époque pour les cueillir afin d’éviter les montées de sève et l’attaque des parasites. La deuxième variété était de type birman (qui pousse un peu partout en Polynésie maintenant) ce bambou flotte très bien mais il tient à peine un an à l’eau de mer.

« L’assemblage des bambous a été réalisé sur un cadre en pin massif d’Oregon, faute de mieux », explique Francis Cowan.

- Les guaras qui doivent passer à travers les bambous pour les monter ou les descendre Le principe des guaras comme seule façon de gouverner le radeau

- Chevillage de bois et ligatures en nappe, tresse de fibres de noix de coco employées depuis la haute antiquité « toutes les fixations ont été faites en chevilles de bois préfabriquées et les amarrages confectionnés en fibres de coco tressées dont il a fallu produire des kilomètres. »

- Voiles en pandanus « Les voiles ont été montées avec du pe’ue (feuilles de pandanus tressées) que nous avions cousu à la main. "Durant notre voyage en mer, nous les avons conservées exactement 4 mois avant de les remplacer par des voiles en toile. On voulait savoir combien de temps elles pourraient tenir et 4 mois c’est pas mal. » Signe de modernité, la radio est présente sur le radeau, elle sera pour Eric de Bisschop source d’énervement et de questionnement.

L’équipage s’embarque sur le radeau de 15 m le 8 novembre 1956. Le départ avait été reporté de quelques mois en raison de l’état de santé du capitaine qui s’était aggravé. Le voyage dure sept mois. Sans une très grosse tempête, au large du Chili, (Francis Cowan parle de vagues de 13 m) l’expédition aurait été un succès complet. Mais Eric de Bisschop a un objectif :

« Puisse notre modeste voyage aider les Polynésiens à regarder les exploits de leur glorieux ancêtres avec toujours plus de fierté car ils furent les plus grands marins que le monde ai jamais connu »

Le retour est programmé sur un autre radeau... Le Tahiti Nui 2 Ce radeau n’est pas en bambous mais en bois. Il doit répondre au même critère que Tahiti Nui 1 mais les bambous seront remplacés par des arbres, des cyprès.

Longueur totale 12 m Largeur 5 m Tirant d’eau 80 m Première couche de troncs 9,50 m Deuxième couche de troncs 10,50 m Troisième couche de troncs 12 m

La hauteur des 3 couches de cyprès fait 1 mètre, l’avant des troncs est taillé en biseau pour une meilleure résistance à l’eau Espace entre les troncs et la plate forme 40 cm La cabine fait 4 m sur 2 m d’une hauteur de 2 m

Mât de misaine 12 mètres Mât d’artimon 10 mètres

Jeux de voile : artimon, grand voile, foc carré - Au total 68 m² Matériel employé : troncs de cyprès de 25 cm de diamètre ; chevilles en eucalyptus ; mâts en eucalyptus ; plate forme en osier tressé ; cabane en contre plaqué ; six drums de 200 litres chacun ;14 guaras en chêne et en frêne

Le chef de chantier est Alain Brun Le 12 février 1958, les 15 tonnes du radeau sont mises à l’eau. Il flotte aussi bien que le premier. Le radeau quitte le chantier de Constitution, au Chili, où il a été construit par le nouvel équipage composé de : Eric de Bisschop, Alain Brun, Juan Bugueno, Hans Fischer, Jean Pelissier. La première partie du voyage consiste en la descente du Rio Maule, le passage de la barre qui fut assez violent, et en route pour le Pérou. A Callao, 12 troncs de balsa de 6 pouces de diamètre prirent place entre les cyprès et la cabine pour augmenter la flottabilité et protéger la cabine des vagues. 20 fûts en aluminium de 200 litres et 10 de 50 litres plein d’eau douce furent amarrés à l’arrière de la plate forme (devenant une réserve de flottabilité au fur et à mesure).

La traversée commence le 13 avril de Callao mais sur la dernière partie le radeau trop enfoncé doit être démantelé pour en faire un plus petit. Eric de Bisschop est très malade. Francis Cowan résume très bien la traversée bien qu’il n’ait pas fait partie de l’équipage du retour.  "Eric de Bisschop a commis une erreur d’appréciation pour rejoindre Tahiti plus rapidement que le Kon Tiki . En partant de Callao, il a choisi une route légèrement plus au nord. Effectivement, ils ont eut une très bonne route. Un cargo américain qui ralliait New-York à Pape’ete, le Pionner Star, les a croisé et leur a donné leur position. Elle était excellente, puisqu’ils étaient en avance sur le temps réalisé par le Kon Tiki sur la même distance. Malheureusement, le vent du sud est s’est renforcé et le radeau qui s’enfonçait n’est pas arrivé à rallier les Marquises.Ils sont passés à 40 milles au nord de l’archipel "

Ils ont fait naufrage sur le récif de l’île de Rakanga aux Cook le 29 août 1958, Eric de Bisschop très affaibli n’y a pas sur vécu.Ses jeunes compagnons l’ont ramené inanimé sur la plage.Cet aventurier était parti explorer un autre monde :

« Dans ce corps, qui n’appartient plus à la terre, il arrive que l’on comprenne ou mieux que l’on sente la réalité de certains mystères... j’ai senti, moi, pendant ces heures extraordinaires que ce que nous appelons la mort n’existe pas, ou plutôt la mort est le commencement d’une autre vie... Mieux encore, la continuation de la vie... »

Ainsi parlait Eric de Bisschop de la mort.

En cinquante ans des hommes comme Eric de Bisschop ont ouvert aux générations suivantes des horizons merveilleux. Les multicoques, catamarans sont des bateaux reconnus et appréciés sur toutes les mers... Peut-être est ce là l’héritage des marins polynésiens d’antan que recherchait Eric de Bisschop ?

BIBLIOGRAPHIE

LIVRES Eric de Bisschop :

Kaimiloa 1939 Plon

Cap à L’Est 1958 Plon

Vers Nousantara 1963 Ed. La Table Ronde

LIVRES autres auteurs

Les confessions de Tatibouet François de Pierrefeu 1939 Plon

Escales autour du monde Fabienne de Croizet 1936 Société d’éditions géographiques (page 20 à 22)

5 Hommes sur un radeau Jean Pelissier 1959 Ed. La pensée Humaine

Les compagnons du Tahiti-Nui Jean Pelissier 1959 Ed. Marabout junior

Le Destin tragique du Tahiti -Nui Michel Brun 1959 Flammarion

Le Dernier rendez vous d’ Eric de Bisschop Bengt Danielsson 1962 Julliard

Fascination de la mer (Sea quest) Charles Borden Artaud (récits sur FOU PO2 Kaimiloa et Cheng Ho)

Francis PUARA COWAN le maitre de la pirogue polynesienne Tahua va’a par jean marc Tera’ituatini Pambrun editions le Motu 2007

Two girls,two catamarans de James Wharram edition Abelard Schuman 1959

Les mascotes du Tahiti-Nui Jaime Bustos Maudiola dessins de Pierre Le Guen 1959

PRESSE

Illustration 19 aout 1933 n° 4720 :l’audacieuse randonnée de 2 français dans le pacifique 4 photos

Illustration 14 avril 1934 n° 4754 :seuls dans le pacifique 2 photos

Illustration 9 juin 1934 n° 4762:la dramatique traversée de la jonque "Fou Po" 2 photos

Paris Soir du 6 au 24 mai 1938 : compte rendu des navigations de Kaimiloa et l’arrivée à Cannes (Bibliothèque Nationale Paris)

La revue des 2 mondes 1 mars 1939 : 6 ans d’aventure en jonque et pirogue d’Eric de Bisschop de la p 126 à la p 155

La Petite Gironde 20/21/22 juin1939 article de Jean Samzeuilh : La construction Kamiloa wakea à Beigles près de Bordeaux dessin du bateau photos(archives Bordeaux)

7 jours n°35 1 juin 1941 Photo d’ Eric de Bisschop en couverture - Petit article 

Le Chasseur français juin 1951 n° 652 La croisière de Kaimiloa une page et dessin

Paris Match 6 juillet 1957 l’ épopée du Tahiti - Nui photos 8 pages

Paris Match 27 septembre 1958 La fin d’ Eric de Bisschop 6 pages

Tintin 14 septembre 1961 n° 673 Eric de Bisschop ou le calvaire du Tahiti -Nui - Scénario Y Duval Dessin JL Fernan BD de 4 pages

Le Yacht 27/10/1956 "Tahiti Nui" signé Jean Brés

Le Yacht 22/12/1956 "La croisière de Tahiti Nui" signé Jean Brés

Le Yacht 16/02/1957 " A bord du radeau Tahiti-Nui" signé Alain Brun

Le Figaro 02/09/1958 "le navigateur Eric de Bisschop périt dans le naufrage du radeau Tahiti Nui"

Le Figaro 03/09/1958 "Le radeau d’ Eric de Bisschop s’est brisé en pleine nuit sur les récifs tranchants de Raka Hanga"

Le Figaro 22/09/1958 "Immersion, ou Inhumation du corps d’Eric de Bisschop ?"

Le Figaro 24/09/1958 "C’est pour prouver que les polynésiens ne tombaient pas de la lune qu’est mort Eric de Bisschop" signé Jean Prasteau

Le Figaro 11/03/1959 "Un témoin raconte la fin tragique du vieil homme illustre de la mer"Jean Prasteau récit d’ Alain Brun

Les Echos de la Lys 1982 "De la Lys au Pacifique" Jean Kerlévéo à l’occasion de l’inauguration de la rue Eric de Bisschop à Aire De LYS

Autres documents

Bulletin de la société de géographie N°1 tome LXXI janvier 1939 conférence du vendredi 25 novembre 1938 18 pages

Documents audio-visuels

Disque vinyl des Amis de la Mer : Jean Merrien et Alain Bombard : hommage à Eric de Bisschop pendant sa traversée de Tahiti vers Le Chili en 1957

Film de L’I C A de Tahiti : Départ du Tahiti Nui et interview de Francis Cowan

Film chez Pathé : l’arrivée de Kaimiloa à Cannes. (Pathé demande 200 euros de location pour une semaine)

Film cd équator-éditions,com : Voile en Polynésie - la pirogue polynésienne

Film L’Odyssée Polynésienne Edition Point du jour Olivier Comte et Hélène Constanty 2009

Post-Scriptum :

Certaines personnes ont utilisées mon travail de rechercher et ces articles pour les mettre à leur compte et les publier dans des revues sans me demander mon autorisation .Je le regrette profondément.J’ai fait ces recherches en tenant la famille au courant de mon travail. Ceci ne m’a rapporté ni argent ,ni travail juste pour le plaisir de rendre hommage au navigateur.Sa vie privé ne m’interresse pas ,juste la réalisation d’un rêve fou à l’époque.

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18 février 2017
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